Odon de Cluny
879-942
Odon naquit en 879 dans la région de Tours, d’Abbon, un père aussi instruit que pieux, de noble famille militaire franque.
Abbon connaissait les anciens historiens et le Droit comme tout juriste consciencieux. Il désirait ardemment un fils et, une nuit de Noël, supplia le Ciel d’accorder enfin un enfant à son épouse, stérile jusque là ; l’enfant naquit bientôt, et Abbon l’offrit à s.Martin.
Odon étudia auprès d’un prêtre du domaine d’Abbon. Ce prêtre vit en songe s.Pierre et s.Paul lui réclamer Odon pour l’Orient (l’Orient mystique, le Christ). Mais Abbon commença à diriger son fils vers la carrière des armes. De 893 à 896, Odon vécut chez Guillaume, duc d’Aquitaine, où il devint très habile dans l’art de la chasse.
Déçu de ce temps perdu, Odon pria Dieu une nuit de Noël (comme son père dix-sept ans plus tôt). Il tomba malade et Abbon se rappela son vœu. Il laissa Odon suivre sa vocation.
Odon fut tonsuré en 899. On lui confia une prébende canoniale à Tours et il intensifia ses lectures tant spirituelles que profanes. Après Priscien, il s’attaquait à Virgile, lorsqu’il eut une vision ou un songe, où il se voyait mourant de soif sur le point d’empoigner une belle amphore, d’où s’échappèrent des serpents. Il comprit que ces lectures n’étaient plus faites pour lui et se plongea dans l’Ecriture sainte.
Il partit étudier à Paris, puis revint à Tours. Après avoir rédigé une compilation des Pères sur les livres des Rois, il condensa les Morales de s.Grégoire sur Job.
A cette époque, beaucoup de monastères avaient été pillés (sinon pas détruits) par les envahiseurs normands, et ceux qui restaient étaient en grande décadence. En attendant de trouver un havre, Odon vivait intensément une vie d’ermite, priant la nuit au tombeau de s.Martin, ou bien, s’il dormait, il s’étendait sur une simple natte et tout habillé.
Il entendit parler de l’abbaye de Baume-les-Messieurs (Jura, à ne pas confondre avec Baume-les-Dames, Doubs), dirigée par l’abbé Bernon. Il s’y rendit avec les cent ouvrages de sa petite bibliothèque.
Odon se montra particulièrement soumis à la Règle. En voici deux exemples.
Il était coutumier que, la nuit, le père maître accompagnât avec une chandelle tout moine qui aurait dû se relever. Odon, trouvant que la chandelle du dortoir était suffisante, ne fit pas appel au père maître… et fut pour cela excommunié. Il se soumit humblement sans rien dire ; Bernon en fut très impressionné et n’aima que plus son jeune moine.
En fin de repas, on devait ramasser les miettes de sa place à table et les avaler avant le signal de la fin du repas ; Odon, distrait, les garda un jour dans sa main et donc ne pouvait plus les avaler après le signal ; ouvrant la main, il la vit pleine de perles précieuses. On les utilisa pour un ornement liturgique.
A Baume, Odon dut s’occuper de la schola, de l’instruction des plus jeunes. Ceux-ci n’étaient pas toujours délicats envers lui, et il les supporta longtemps patiemment.
Un soir qu’il était de passage dans un château, la fille du seigneur vint le supplier de l’aider à échapper à un mariage auquel on voulait la forcer ; après réflexion, Odon l’emmena jusqu’au monastère, la fit recevoir et lui portait à manger chaque jour ; il lui lisait des Vies des Pères ; la jeune fille devint moniale et mourut dans une vision où s.Paul l’invitait aux noces célestes.
Vers 910, Odon fut ordonné prêtre.
Avant de mourir (927), Bernon fit choisir Odon pour lui succéder. Les évêques présents pour ce choix menacèrent Odon d’excommunication s’il refusait d’accepter.
Odon s’installa alors à Cluny, qui dépendait de Baume. Mais comme de nombreux monastères d’Occident dépendaient de Baume, Odon, par son action paternelle et réformatrice, fut pratiquement à la tête de tout l’Occident. Il fut en outre très apprécié et aidé par les rois, les évêques et les seigneurs, qui le connaissaient depuis longtemps.
En 931, il mit tout l’Ordre sous la dépendance directe de saint Pierre et du Pape.
En 936, il tenta à Rome de réconcilier le prince Alberico avec le roi des Lombards Ugo, sans vraiment aboutir à une paix stable, mais les deux ennemis furent au moins d’accord pour admirer les vertus d’Odon. Celui-ci fut alors nommé archiabbé de tous les monastères romains.
Mais c’est à Rome qu’il contracta cette mystérieuse maladie que son biographe décrit comme un feu glacé (frigidus ignis) : Odon cuisait littéralement dans une enveloppe glacée.
Il put revenir à Tours pour la fête de s.Martin, 11 novembre 942, et mourut en l’octave de cette fête, le 18 novembre 942 (à moins qu’il faille retarder l’événement à 948).
Odon attira à la vie monastique ses chers parents. C’était un homme sympathique, toujours enjoué, dans une grande simplicité. Il gagna au Christ des brigands.
Il laissa aussi un œuvre écrit très abondant, où l’on trouve des expressions savoureuses, et des néologismes qui montrent la vaste érudition de l’Auteur. Quelques citations.
- Combien il vaudrait mieux soigner la beauté de l’âme ! Car la beauté physique consiste uniquement dans la peau. Car si les hommes voyaient ce qui est sous la peau, comme font les lynx de Boetia, paraît-il, la vue des femmes les dégoûterait. Ce décor est à base de glaire, de sang, d’humeur, de fiel. Considérez ce qui se cache dans les narines, la gorge, le ventre : que trouvez-vous ? de l’ordure. Et si l’on ne peut souffrir de toucher, même du bout des doigts, de la glaire ou de la fiente, comment se fait-îl que nous désirions embrasser un sac à fiente ?
- Les fidèles tirent plus de profit des exemples que des paroles. Le prédicateur doit confirmer sa parole par sa pratique.
Dans la catégorie des nombreux néologismes :
- le mot grec ekaton pour le latin centum
- Noé est qualifié de naustologus, «maître navigateur»
- eumorfus pour pulcher
Saint Odon de Cluny est commémoré le 18 novembre dans le Martyrologe Romain.