Les saints Martyrs de l’Ouganda
1885-1887
Le pays de l’Ouganda se situe en Afrique du centre-est, au sud du Soudan, à l’est du Zaïre et du Rwanda, bordé par une grappe de grands lacs, dont l’immense Lac Victoria, qui touche l’Ouganda, le Kenya, la Tanzanie. Ce beau pays est à peu près grand comme la moitié de la France, et compte actuellement une trentaine de millions d’habitants. Pays agricole essentiellement, grâce à un climat tempéré qui ne connaît pas de températures en-dessous de 13° ni au-dessus de 30°, on y vit d’élevage et de cultures diverses : banane, patate, manioc, café, thé, canne à sucre, tabac.
Les premiers missionnaires y arrivèrent en 1879 et furent très bien reçus. Mais le kabaka (le roi) en prit ensuite ombrage ; son successeur, Mouanga, rappela les missionnaires, et soutint ouvertement le travail des missionnaires, nommant aux charges les meilleurs des néophytes.
Ceux-ci avertirent le roi qu’une conspiration se tramait contre lui ; il arrêta son katikiro (premier ministre), qui lui mentit en protestant de sa fidélité ; pardonné, ce dernier jura la mort des chrétiens et s’ingénia à les faire mépriser du roi comme dangereux, conspirateurs, etc.
Le récit du martyre de ces vaillants soldats rappelle fortement celui des Frères Martyrs, au 2e Livre des Maccabées (2M 7).
La toute première victime fut le conseiller intime du roi, Joseph Mukasa, qui était aimé de tous. Même le bourreau cherchait à retarder de l’exécuter, mais il reçut l’ordre du katikiro de le tuer sur place ; il fut ainsi décapité, avec deux ou trois pages de la cour.
Auparavant, Joseph, très calmement, confia au bourreau cette commission : Tu diras de ma part à Mouanga qu’il m’a condamné injustement, mais que je lui pardonne de bon cœur. Tu ajouteras que je lui conseille fort de se repentir, car, s’il ne se repent, il aura à plaider avec moi au tribunal de Dieu.
Quelques mois plus tard, le roi transperça de sa lance le jeune Denis Ssebuggwawo, qui était en train d’instruire un compagnon. Ce fut le signal de la persécution proprement dite : désormais devront être massacrés tous ceux qui prient. C’était le 25 mai 1886. Un chrétien courut de nuit avertir les missionnaires de ce qui s’était passé et qui allait se produire, de sorte que l’un d’eux, le père Lourdel, vite accouru, fut lui-même témoin des faits suivants, à l’intérieur de la résidence royale.
Charles Lwanga, chef du groupe des pages, fut appelé le premier avec sa troupe ; ils reçurent une pluie de reproches sur leur religion, puis furent enlacés de grosses cordes, d’un côté le groupe des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, de l’autre les enfants. Charles et Kizito se tenaient par la main, pour s’encourager l’un l’autre à ne pas faiblir ; Kizito, quatorze ans, demandait le baptême depuis longtemps, et le père Lourdel lui avait enfin promis de le baptiser dans un mois ; en fait, il sera baptisé en prison, la veille de son martyre. C’est le plus jeune de tous ces martyrs.
Après les employés de la cour, on convoqua un jeune soldat, Jacques Buzabaliawo. Le roi ironisa sur lui et ajouta : C’est celui-là qui a voulu autrefois me faire embrasser la religion ! … Bourreaux, enlevez-le et tuez-le bien vite. C’est par lui que je veux commencer. A quoi Jacques répondit sans s’émouvoir : Adieu ! je m’en vais là-haut, au paradis, prier Dieu pour toi. Passant devant le père, il leva ses mains enchaînées vers le ciel, souriant comme s’il allait à une fête.
Inquiet pour la mission, le père revint sur ses pas ; apercevant une source où se désaltérer, il s’entendit dire : “Le cadavre d’une des victimes de la nuit a été traîné dans cette eau.” Car des pillards avaient été lancés dans toute la contrée pour saccager les villages où se trouvaient des chrétiens.
André Kaggwa était un chef parmi les plus influents et les plus fidèles au roi. C’était l’un des trois qui l’avaient en effet averti de la conspiration qui le menaçait. Il devait devenir le général en chef de toute l’armée, car le roi avait en lui une confiance absolue, le gardant toujours à ses côtés. Le premier ministre le dénonça bientôt comme le plus dangereux de tous, et, de guerre lasse, le roi finit par lui laisser faire ce qu’il voulait. Immédiatement garrotté, André fut “interrogé” et le premier ministre insista auprès du bourreau : Je ne mangerai pas que tu ne m’aies apporté sa main coupée, comme preuve de sa mort. Et André, au bourreau : Hâte-toi d’accomplir les ordres que tu viens de recevoir… Tue-moi donc vite, pour t’épargner les reproches du ministre. Tu lui porteras ma main, puisqu’il ne peut manger avant de l’avoir vue.
Charles Lwanga fut séparé des autres, sans doute dans le but de les impressionner davantage. Le bourreau le fit brûler lentement, en commençant par les pieds et en le méprisant : Que Dieu vienne et te retire du brasier ! Mais Charles lui répondit bravement : Pauvre insensé ! Tu ne sais pas ce que tu dis. En ce moment c’est de l’eau que tu verses sur mon corps, mais pour toi, le Dieu que tu insultes te plongera un jour dans le véritable feu. Après quoi, recueilli en prière, il supporta son long supplice sans proférer aucune plainte.
Il y avait là aussi trois jeunes pages, qu’on fit assister au supplice des autres, dans l’espoir de les voir apostasier. Non seulement ils ne cédèrent pas, mais l’un deux protesta de ne pas être enfermé dans un fagot comme les autres pour être brûlé ; puis quand on les reconduisit tous trois en prison sans les torturer, ils demandèrent : Pourquoi ne pas nous tuer ? Nous sommes chrétiens aussi bien que ceux que vous venez de brûler ; nous n’avons pas renoncé à notre religion, nous n’y renoncerons jamais. Inutile de nous remettre à plus tard. Mais le bourreau fut sourd à leurs «plaintes», sans doute par permission de Dieu, pour que ces trois-là nous fournissent ensuite les détails du martyre de tous les autres.
Parmi les condamnés se trouvait le propre fils du bourreau, le jeune catéchumène Mbaga. Son père était désespéré et cherchait par tous les moyens de le faire changer d’avis, ou de lui extorquer un mot qu’on aurait pu interpréter comme une apostasie ; inutile. L’enfant ajouta même : Père, tu n’es que l’esclave du roi. Il t’a ordonné de me tuer : si tu ne me tues pas, tu t’attireras des désagréments et je veux te les épargner. Je connais la cause de ma mort : c’est la religion. Père, tue-moi ! Alors le père ordonna à un de ses hommes de lui accorder la mort des “amis”, en lui assénant un fort coup de bâton à la nuque. Puis le corps fut enfermé dans un fagot de roseaux, au milieu des autres.
On enferma donc chacun des condamnés dans un fagot, et l’on y mit le feu du côté des pieds, pour faire durer plus longtemps le supplice, et aussi pour tenter de faire apostasier ces garçons. En fait, s’ils ouvraient la bouche, c’était pour prier. Une demi-heure après, les roseaux étaient consumés, laissant à terre une rangée de cadavres à moitié brûlés et couverts de cendres.
Un autre chrétien qui fut arrêté, fut le juge de paix Mathias Mulumba ; il avait connu l’Islam puis le protestantisme ; devenu catholique, c’était un homme très pieux qui vivait paisiblement avec son épouse et ses enfants. Amené devant le premier ministre, il répondait calmement aux vilaines questions qu’il lui posait. Furieux, le ministre cria : Emmenez-le, tuez-le. Vous lui couperez les pieds et les mains, et lui enlèverez des lanières de chair sur le dos. Vous les ferez griller sous ses yeux. Dieu le délivrera ! Mathias, blessé par cette injure faite à Dieu, répondit : Oui, Dieu me délivrera, mais vous ne verrez pas comment il le fera ; car il prendra avec lui mon être raisonnable, et ne vous laissera entre les mains que l’enveloppe mortelle. Le bourreau accomplit scrupuleusement les ordres reçus : de sa hache, il coupa les pieds et les mains de Mathias, les fit griller sous ses yeux ; l’ayant fait coucher face contre terre, il lui fit enlever des lanières de chair qu’ils grillèrent ensuite, usant de tout leur art pour empêcher l’écoulement du sang, et prolonger ainsi l’agonie de leur victime, qui ne proféra mot. Effectivement, trois jours après, d’autres esclaves passaient par là et entendirent des gémissements : c’était Mathias qui demandait un peu d’eau à boire ; mais épouvantés par l’horrible spectacle, ils s’enfuirent, le laissant consommer atrocement son martyre.
Avec lui fut aussi conduit au supplice un de ses amis, Luc Banabakintu, qui eut “seulement” la tête tranchée.
Pendant ces exécutions, des pillards allèrent s’emparer du peu qu’il y avait à voler chez Mathias et voulurent ravir son épouse et ses enfants. Il y avait là un serviteur très fidèle et pieux, Noé Mawaggali. Son chef n’eut pas le courage de le refuser aux pillards, qui le percèrent de leurs lances.
La sœur de ce dernier fallit être ravie par le chef des pillards, mais elle leur parla très fermement : “Vous avez tué mon frère parce qu’il priait ; je prie comme lui, tuez-moi donc aussi.” Au contraire, ils l’épargnèrent et la conduisirent en cachette chez les missionnaires, où elle s’occupa maternellement des enfants de Mathias, dont l’un n’avait que deux ans.
Il y eut aussi Jean-Marie, surnommé Muzeyï, “vieillard”, à cause de la maturité de son caractère. Baptisé à la Toussaint de 1885, on disait qu’il avait appris tout le catéchisme en un jour. Il donnait aux pauvres, s’occupait des malades, rachetait des captifs. Confirmé le 3 juin 1886, il fut noyé dans un étang le 27 janvier 1887.
Tels sont les plus marquants des vingt-deux martyrs ougandais, qui furent béatifiés en 1920, et canonisés en 1964.
Ils sont fêtés le 3 juin, jour du martyre de la majeure partie d’entre eux.
Voici maintenant les noms de ces vaillants soldats du Christ, avec l’indication de leur prénom dans leur langue propre, leur date (approximative) de naissance et la date respective de leur martyre (qui est aussi la date où ils sont mentionnés au Martyrologe) :
Joseph (Yosefu) Mukasa Balikuddembe, né vers 1859-1860, chef des pages, décapité puis brûlé, martyrisé le 15 novembre 1885
Denis Ssebuggwawo Wasswa, né vers 1870, première victime de la grande persécution, martyrisé le 25 mai 1886
André (Anderea) Kaggwa, né vers 1856, page, celui qui devait être le général en chef du roi ; le bourreau lui trancha le poignet et la tête ; martyrisé le 26 mai 1886
Pontien (Ponsiano) Ngondwé, né vers 1846-1851, page, mis en prison, percé de coups de lance, martyrisé le 26 mai 1886
Gonzague (Gonzaga) Gonza, né vers 1862, page du roi, percé d’une lance après avoir forcé l’admiration du bourreau lui-même, martyrisé le 27 mai 1886
Athanase (Antanansio) Bazzekuketta, né vers 1866, page, accablé de coups, martyrisé le 27 mai 1886
Mathias (Matiya) Kalemba Mulumba Wante, né vers 1836, dont on a parlé plus haut, martyrisé le 30 mai 1886
Noé (Nowa) Mawaggali, né vers 1851, martyrisé le 31 mai 1886
Les treize suivants sont tous martyrisés le 3 juin 1886, tous brûlés vifs :
Charles (Karoli) Lwanga, né vers 1861
Bruno Serunkuma, né vers 1856, soldat du roi, roué de coups de bâton
Mugagga Lubowa, né vers 1869-1870, qui s’offrit spontanément aux bourreaux
Jacques (Yakobo) Buzabaliawo, né vers 1856-1861, soldat, qu’on entendit prier pour ses persécuteurs
Kizito, né vers 1872, le benjamin de quatorze ans
Ambroise (Ambrosio) Kibuka, né vers 1868, page
Gyavira Musoke, né vers 1869, page, catéchumène, jeté en prison le jour même où Charles le baptiza
Achille (Achileo) Kiwanuka, né vers 1869, page
Adolphe (Adolofu) Mukasa Ludigo, né vers 1861-1862, page
Mukasa Kiriwawanvu, né vers 1861-1866, page et catéchumène
Anatole (Anatoli) Kiriggwajjo, né vers 1866, page, qui refusa la charge honorifique proposée par le roi
Mbaga Tuzinde, né vers 1869-1870, page, fils du bourreau, baptisé par Charles juste avant d’être enchaîné avec lui, roué de coups, assommé avant d’être brûlé.
Luc (Lukka) Banabakintu, né vers 1851-1856, décapité puis brûlé
Enfin :
Jean-Marie (Yohana Maria) Muzeyi, né vers 1851-1856, saint homme, longtemps recherché, arrêté, décapité le 27 janvier 1887. C’est la dernière victime de la persécution.
On aurait pu croire que le christianisme aurait été ainsi dangereusement menacé d’extinction. Il n’en fut rien. Trente ans après, l’évêque du lieu pouvait compter sur quatre-vingt huit prêtres, onze frères coadjuteurs, trente-huit Religieuses et mille deux-cent quarante-quatre (!) catéchistes.
Actuellement, la religion catholique y est majoritaire à 45 %, suivie de l’anglicanisme (39 %) et de l’Islam (10%).