2e dimanche de Carême – Année A
On situe l’existence d’Abraham au XIXe siècle avant Jésus-Christ, environ. Toute son histoire est développée dans le livre de la Genèse.
Quand Dieu lui enjoint de partir du pays de Babylone pour rejoindre la terre de Canaan, notre saint Patriarche s’appelle encore Abram. Le voyage que Dieu lui commande de faire comporte quelque mille kilomètres ! Simplement, Abram plie ses tentes et part, sans discuter.
Il ne faudrait pas imaginer qu’Abram, avec ses troupeaux innombrables, fût un brave berger inculte. Il gérait beaucoup de bestiaux, avec des gardiens nombreux qui travaillaient pour lui, et montrait par son habileté à conduire tout ce monde, qu’il était loin d’être sot !
On entend donc aujourd’hui la bénédiction que Yahvé lui promet et l’hérédité qu’Il lui annonce, alors qu’il n’a pas encore d’enfant. La phrase de Yahvé En toi seront bénies toutes les nations de la terre, ne peut pas du tout signifier qu’Abraham soit l’ancêtre commun des trois religions, juive, chrétienne et musulmane. Yahvé ne pouvait pas fonder lui-même trois religions qui, encore aujourd’hui, se disputent souvent entre elles. Non, Yahwé promet à Abraham que tous ceux qui se référeront à lui en vérité, recevront la bénédiction divine. Il y a, heureusement, de saintes personnes parmi les Juifs et les Musulmans – et l’on assiste aujourd’hui encore à de vraies conversions au Christianisme, mais hélas ! on sait aussi que, officiellement, certains dirigeants vouent une haine implacable contre les Chrétiens.
Donc, Abram a confiance en Yahwé : il part ! Il ne sait pas quelles épreuves il traversera, quelles tribus il rencontrera… Il part, obéissant à la parole divine.
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Le Psaume 32 chante la providence divine, avec la harpe, la lyre à dix cordes ; il chante la bonté universelle de Dieu, sa toute-puissance sur toute la création.
Les derniers versets de ce psaume décrivent comment l’oeil de Yahwé est sur ceux qui le craignent : quand Dieu demande à Abram de partir en voyage en pays inconnu, Abram sait qu’il n’a rien à craindre, et il met toute sa foi dans la bonté et la miséricorde de Dieu.
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Les quelques lignes de s.Paul à Timothée nous aident à comprendre que Yahwé-Dieu nous fait une grande grâce en nous appelant : pécheurs que nous sommes, nous n’avons aucun mérite à cette vocation ; c’est Dieu qui nous appelle le premier ; heureux sommes-nous si nous savons répondre à cet appel, comme Abram, en nous mettant en route sans regarder en arrière, en faisant confiance en la divine Providence.
Bien sûr, nous serons tentés, et même quelquefois, nous tomberons dans quelque erreur, mais n’ayons pas peur de nos chutes : en même temps que l’épreuve, Dieu nous donne toujours la force de la surmonter, si nous voulons bien accueillir cette grâce.
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Mais pourquoi donc l’Église nous fait-elle lire ces extraits avant l’évangile de la Transfiguration ? Et pourquoi Jésus se montre-t-il glorifié avant d’être ressuscité ?
Quelques jours avant cet événement (Matthieu précise même : Six jours), Jésus a annoncé aux apôtres sa passion et sa mort, et Jésus a sévèrement réprimandé Pierre de vouloir s’opposer à cette passion. Et il est bien probable que les autres apôtres aient aussi pensé, sans s’exprimer oralement, que cette annonce de la passion du Maître, les inquiétait.
Lui, Jésus, sait où il va, parce qu’il est consubstantiellement uni au Père éternel. Mais il doit préparer les apôtres à un « voyage » qu’ils ne connaissent pas encore, car depuis trois années, ils ont assisté à beaucoup de discours de Jésus, à beaucoup de miracles, à beaucoup d’épisodes marquants et forts de la vie de leur Maître divin ; et ils sont loin de penser que ce Maître doive affronter tant de douleurs, tant d’humiliations, la mort même. Certes, ils connaissent les passages des prophètes, en particulier ceux où Isaïe parle des souffrances du Serviteur de Yahwé, mais ils sont loin de savoir appliquer ces lignes à leur cher Maître Jésus… Sans doute pensaient-ils, comme nous : Ce sont peut-être des images…
Jésus, après leur avoir annoncé sa Passion, a ajouté : Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive. Nous qui connaissons la passion du Christ, nous voyons bien que Jésus invite ses apôtres - et nous avec eux - à prendre la croix et à Le suivre. Jésus ne dit pas : Prenez votre croix, vous, mes apôtres, mais : Que toute personne qui veut me suivre, prenne sa croix. Que cette invitation soit bien claire pour chacun de nous. Mais revenons aux apôtres.
Six jours après, donc, Jésus emmène trois apôtres – pas tous, les trois futures « colonnes » de la première chrétienté – sur cette haute montagne, le Tabor. Ce « sommet » de la Galilée est situé tout près de Nazareth et non loin du lac de Tibériade, et à une centaine de kilomètres de Jérusalem.
Transfiguré, Jésus va ainsi réconforter les apôtres en leur montrant la gloire qu’il aurait après sa mort et sa résurrection. Par là donc, les apôtres devaient pouvoir éliminer toute crainte de la passion, sachant bien quelle splendeur allait se manifester à la résurrection du Christ. Le récit lui-même de la Transfiguration est fort bref. Arrêtons-nous à quelques expressions.
Pierre dit, littéralement, Il est bon pour nous d’être ici. Il ne dit pas qu’il est agréable d’être là-haut sur cette montagne déserte de six-cents mètres, mais il ressent un bienfait intérieur, une joie profonde d’être là, en compagnie de Jésus, de Moïse et d’Elie. Comment les a-t-il reconnus ? Sans doute par quelque inspiration, ou par quelques mots du Christ lui-même, puisque, dit l’Evangéliste, ils s’entretenaient avec lui. On peut essayer d’imaginer la conversation de ces trois saints Personnages, Jésus, Moïse et Elie : Moïse a conduit prophétiquement le peuple d’Israël de l’esclavage à la liberté ; Elie, neuf siècles avant le Christ, fut en tête de la longue lignée des prophètes qui annoncèrent la venue du Sauveur. Dieu confirme solennellement ces missions prophétiques et, comme lors du baptême du Christ il y a trois ans, montre que ce Jésus est bien l’aboutissement de tout l’Ancien Testament.
Pierre est rempli d’émerveillement pour cette vision et cette proximité avec le mystère. Les trois « tentes » qu’il voudrait construire ici sont plus probablement des abris, des niches comme on a fait celles de nos cathédrales, qui « abritent », qui honorent les statues qu’on y mettait. Pierre veut honorer Moïse et Elie, en même temps que Jésus.
Cette grande joie a investi toute la personne de Pierre et des deux autres apôtres ; le texte ne dit pas qu’ils ont été « effrayés », mais qu’ils ont été remplis de crainte ; s’ils avaient été à ce point effrayés, ils seraient partis en arrière et seraient descendus du Mont Thabor en courant… Non, ils furent remplis d’une sainte crainte qui les poussa à se prosterner jusqu’à terre, comme cela nous arriverait devant tel ou tel grand personnage. Quand Jésus leur dit Ne craignez pas, Il les rappelle seulement à la réalité : Moïse et Elie ont disparu, la voix du Père s’est tue, Jésus a repris son aspect humain habituel.
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Jésus pouvait très bien recommander à ces trois apôtres de réconforter à leur tour les autres apôtres ; au contraire, il leur demande la discrétion, le silence total jusqu’à la résurrection. Résurrection : un mot qu’ils ignorent ! A-t-on jamais entendu parler d’un mort qui serait revenu à la vie ? Lazare peut-être (cf. Jn 11) ? Mais Jésus leur avait bien dit que Lazare « dormait », de même que la fille de Jaïre (Lc 8:41sq) ; et même dans ces derniers cas, Jésus les a bien rappelés à la vie ; mais qu’un mort, de lui-même, reprenne vie, cela n’était jamais arrivé. Ce sera le plus grand miracle de Jésus.
Nous savons, par les évangélistes, que ces mêmes apôtres quittèrent Jésus au moment de son arrestation au Jardin des Oliviers. Au pied de la croix, se trouvaient Marie, sa douce mère, et Jean, le plus jeune des apôtres, avec Marie-Magdeleine, la pécheresse convertie. Ni Pierre, ni Jacques…
Identifions -nous à ces derniers ! Tous, nous sommes concernés par cette fuite, malgré tant et tant de certitudes, de miracles, d’apparitions dont nous avons tous entendu parler. Tous, nous savons bien que Jésus-Christ est ressuscité, et malgré cette certitude, que de chutes, que d’abandons, que de peurs et d’inquiétudes… Que de fois serions-nous bien tentés de nous débarrasser de notre croix...
Demandons à Dieu cette grâce de « rester debout » dans les épreuves. Quand il nous semble que nous n’arriverons jamais en-haut du Calvaire, regardons Jésus, suivons Marie ! Jusqu’au bout ! Après, ce sera la résurrection et la splendeur céleste !