Claudine Thévenet
1774-1837
Seconde de sept enfants, Claudine naît près de Lyon le 30 mars 1774, de Philibert Thévenet, qui tient un négoce.
Sa bonté et sa douceur exercent très tôt une heureuse influence sur ses frères et sœurs. A neuf ans elle sera formée chez les Bénédictines de l’abbaye Saint-Pierre, place des Terreaux.
Quand éclate la Révolution, Claudine a quinze ans. Les malheurs qui suivirent la frappèrent profondément. Lors des heures tragiques qui agitèrent la ville de Lyon en 1793, Claudine se retrouva un jour seule avec sa mère et ses quatre petits frères. On ne savait où était le papa ; les deux frères aînés étaient engagés au combat ; et l’oncle maternel se trouvait du côté où étaient les révolutionnaires. Claudine priait, confiante.
Le père revint à la maison ; les deux frères aussi, dans un premier temps, mais ils furent dénoncés, arrêtés et mis en prison, en attendant leur exécution. Les autorités arrêtèrent et exécutèrent des centaines d’habitants, par mesure de représailles. Chaque jour, Claudine cherchait à apercevoir ses frères dans le convoi des condamnés. Elle les vit le 5 janvier. Courageusement, elle réussit à s’approcher. L’un des deux lui souffla : Prends dans ma chaussure une lettre pour notre mère. On imagine son émotion. Mais en plus, l’un des deux frères eut encore le temps de lui lancer cette phrase sublime : Glady (1), pardonne, comme nous pardonnons.
Il y eut un coup de feu, puis le coup de grâce avec une épée. C’en était trop pour elle, qui en conserva toute sa vie une prédisposition aux migraines. Louis-Antoine et François-Marie avaient respectivement vingt et dix-huit ans, tandis que Claudine en avait presque vingt.
Elle revint à la maison avec la précieuse lettre : en fait, deux petits mots, écrits par chacun des deux frères, qui les signèrent tous les deux. Ils avaient écrit : Nous allons être plus heureux que toi ; dans quatre ou cinq heures, nous serons devant Dieu. Nous allons vers le Cœur de Dieu, ce bon Père que nous avons offensé, mais nous nous remettons entièrement à sa miséricorde. Ils eurent la possibilité tous les deux de se confesser à un prêtre malade et assez âgé, arrêté et condamné avec eux.
Quand le calme revint à Lyon, la famille se refusa chrétiennement à toute accusation du délateur devant la justice.
Puis Claudine se décida à soulager toutes les misères qu’elle côtoierait dans cette paroisse Saint-Bruno, avec cette foi et cette charité profondes, qu’elle cherchait à transmettre à chaque instant. Convaincue qu’une grande partie des malheurs qui sévissaient, étaient le résultat de l’ignorance de Dieu, Claudine brûlait du désir de Le faire connaître, surtout aux enfants et aux jeunes.
Elle commença par intensifier sa prière, s’inscrivant dans les rangs de la Confraternité du Sacré-Cœur, où l’adoration eucharistique était à l’honneur. Puis elle gagna à ses idées quelques autres dames.
Durant l’hiver 1815, un jeune prêtre trouva sous le porche d’une église deux fillettes abandonnées, qu’il amena au curé de la paroisse ; ce dernier lui dit : Allez frapper chez Mademoiselle Claudine Thévenet. Elle a un cœur de mère et organise toutes les bonnes œuvres de la paroisse. Claudine s’en occupa maternellement, et ce fut là pour elle le stimulant de son profond amour pour les enfants abandonnés. La maison de son amie, Marie Chirat, où furent élevées les petites filles, devint ainsi la Providence du Sacré-Cœur.
Peu de temps après, un saint prêtre, l’abbé Coindre, qui avait fondé de son côté la congrégation des Frères du Sacré-Cœur, suggéra à Claudine l’idée d’une société vraiment organisée et adaptée aux œuvres qu’elle voulait assumer. Il lui proposait la règle de saint Augustin et les constitutions de saint Ignace de Loyola. Ainsi prit naissance le 31 juillet 1816 la Pieuse Union du Sacré-Cœur de Jésus, dans la Providence de la paroisse Saint-Bruno, qui deviendra le 6 octobre 1818 (2) la congrégation des Religieuses de Jésus-Marie, au lieu-dit Les Pierres-Plantées, dans le quartier de la Croix-Rousse. Très vite, une deuxième «Providence» fut ouverte, pour la fabrication de la soie. Claudine était à la fois «effrayée» de son entreprise et confiante en la providence divine.
Deux années plus tard, meurt sa mère, qu’elle aimait beaucoup. Une grosse épreuve pour Claudine, mais aussi l’occasion pour elle d’agir désormais en toute liberté.
L’œuvre se développait ; on s’installa à Fourvière en 1820, sur un terrain acheté à la famille Jaricot (3) ; mais les critiques aussi allaient bon train : on traitait de ridicule cette Supérieure, on se moquait de ces gamines et de leurs maîtresses… Claudine enseignait le pardon et la patience.
Quand l’abbé Coindre fut transféré au diocèse du Puy, il y appela la nouvelle famille religieuse, qui sera approuvée dans le diocèse du Puy dès 1823, et dans celui de Lyon en 1825.
Le but principal de la congrégation est de recueillir les enfants pauvres et de les garder jusqu’à leur vingtième année, leur enseignant à lire, écrire, compter, et un métier avec une bonne formation chrétienne. Mais Claudine voit plus loin : elles ouvrent aussi un pensionnat pour les jeunes filles bourgeoises, qui ont, elles aussi, besoin de recevoir une base solide avant de fonder une famille. Ainsi, la congrégation de Jésus-Marie va s’ouvrir aux besoins des toutes les classes sociales, mais avec une préférence pour les enfants et les jeunes les plus pauvres.
Pour obtenir les titres exigés par l’Etat, elle s’inscrit aux examens pour le diplôme officiel, en 1822, à quarante-huit ans !
Les épreuves pleuvent : les milieux ecclésiastiques proposeront à Claudine de fusionner sa Famille avec l’autre déjà existante des Dames du Sacré-Cœur, de sainte Madeleine-Sophie Barat (v. 25 mai) ; l’abbé Coindre va décéder en 1826, ainsi que quelques-unes des premières sœurs ; en 1831 et 1834, des mouvements sociaux vont diviser Lyon et Claudine se trouvera entre les deux clans, cherchant à faire la paix ; en plus de tout cela, l’aumônier des Religieuses n’aimait pas l’idéal de saint Ignace et prétendait modifier profondément l’esprit de la congrégation : Claudine dut résister, avec douceur mais très fermement, et ce avec parfois des scènes épiques… Tout cela secouera fortement le courage de la Fondatrice, qui saura résister à toutes les pressions, mais aussi y perdra la santé.
Avec courage et hardiesse même, elle entreprend des constructions, une chapelle ; elle rédige les Constitutions. Elle est organisatrice-née.
Elle cherche à faire tout pour plaire à Dieu, à voir Dieu en toutes choses et toutes choses en Dieu. A ses Sœurs, elle inculque son amour maternel : Il faut être les mères de ces enfants, oui, de vraies mères, tant de l’âme que du corps. Les seules (partialité et préférence) que je vous permets, sont pour les plus pauvres, les plus misérables, celles qui ont le plus de défauts ; celles-là, oui, aimez-les beaucoup !
Ses dernières paroles seront : Que le bon Dieu est bon !
Claudine Thévenet, qui avait pris le nom religieux de Mère Marie Saint-Ignace, s’éteignit à cette vie terrestre le 3 février 1837, un vendredi à 15 heures.
Cinq ans après, dès 1842 des Religieuses essaiment en Inde, en Espagne en 1850, au Canada en 1855. Actuellement elles sont près de deux-mille, dans près de deux-cents maisons sur les cinq continents.
Claudine Thévenet - Marie Saint-Ignace a été béatifiée en 1981 et canonisée en 1993.
(1) Glady était le surnom que toute la famille donnait gentiment à Claudine. On l’appelait aussi la petite violette, à cause de tous les petits travaux qu’elle faisait à la maison.
(2) On remarquera peut-être la coïncidence entre cette Providence de Saint-Bruno, point de départ de l’œuvre de Claudine, et la date du 6 octobre, fête de saint Bruno, comme date de la fondation de la congrégation. Les religieux de saint Bruno (Chartreux) avaient là une maison au 16e siècle.
(3 Pauline Jaricot (1799-1862) est à l’origine de l’œuvre de la Propagation de la Foi.