Martyrs de Damas
† 1860
Un simple incident excita la faction druse de Damas à se déchaîner contre les Chrétiens. Le quartier chrétien, très prospère, excitait en effet la jalousie des Musulmans, dont le nouveau chef local décida de persécuter les Chrétiens sans pitié.
Tandis que l’émir Abd-el-Kader (celui qui avait tenu tête à l’invasion française en Algérie et s’était retiré en Syrie) prenait la défense des Chrétiens, les Franciscains pensaient qu’il leur suffisait de rester dans leur monastère aux portes solides.
Un millier de Chrétiens, dont beaucoup d’élèves de Mooti (voir plus bas), qui étaient chez les Franciscains, trouvèrent refuge au dernier moment chez Abd-el-Kader.
Un traître signala une porte dérobée, par laquelle les révoltés firent irruption dans le monastère durant la nuit du 9 au 10 juillet 1860. Il y avait là huit Religieux, et trois laïcs, dont voici quelques détails biographiques.
Manuel Ruiz López, un Basque espagnol né le 5 mai 1804 à San Martín de Ollas (Burgos), était le Supérieur. Il avait été envoyé jeune prêtre en Terre Sainte, où il apprit rapidement l’arabe et devint vite populaire avec le surnom de Père Patience. Sa santé l’obligea à faire plusieurs retours en Europe et il put revenir en Syrie en 1858. Il eut le temps de consommer les Hosties du tabernacle, avant d’être égorgé. On retrouva près de lui son petit évangéliaire arabe, maculé de sang.
Carmelo Bolta Bañuls, né le 29 mai 1803 à Borjas (Gandía, Valencia, Espagne), était venu en Terre Sainte en 1831. D’abord curé en Judée, il fut envoyé à Damas en 1851, comme supérieur, puis comme curé pour les fidèles de rite latin. Il fut assommé à coups de gourdin.
Engelbert Kolland, né le 21 septembre 1827 à Ramsau (Zell am See, Salzburg, Autriche), était entré au couvent de Salzburg en 1847. Ordonné prêtre en 1851 à Bolzano, il y resta comme vicaire jusqu’en 1855, puis vint en Terre Sainte. En 1860, il était vicaire aux côtés de Carmelo Volta. Le soir du 9 juillet, il tentait de rejoindre Abd-el-Kader, et s’arrêta chez des Chrétiens, où une dame lui passa un grand voile blanc de femme, mais ses pieds nus et ses sandales le firent reconnaître. Il fut tué à la hache sur son refus d’apostasier. Il avait trente-trois ans.
Les trois autres Pères étaient à Damas pour étudier l’arabe :
Nicanor Ascanio de Soria était né le 10 janvier 1814 à Villarejo de Salvanés (Madrid). Vêtu à quinze ans, il dut en 1835 rentrer dans le monde à la suite de graves troubles antireligieux. Devenu prêtre, il put entrer dans une maison de formation pour missionnaires à destination du Maroc et de la Terre Sainte (cette maison avait reçu l’approbation du gouvernement). En 1859, il partait pour le Moyen Orient, à Jérusalem, mais le père Ruiz lui conseilla de rester davantage à Damas, en raison de l’insécurité des routes. Dans la nuit du 9 juillet 1860, les révoltés le sommèrent d’apostasier ; comprenant mal l’arabe, il fit répéter, refusa d’obtempérer et fut massacré.
Pedro Soler Méndez était né le 28 avril 1827 à Lorca (Murcie, Espagne centrale). Dès l’ouverture de la maison pour les missions, il avait pris l’habit franciscain, en 1856. C’était un homme dur pour lui-même, acharné au travail et couchant par terre. Il partit avec enthousiasme pour le pays de Jésus et fut envoyé à Damas. Au bourreau qui lui enjoignait d’apostasier, il répondit dans un arabe encore approximatif qu’il n’avait pas d’argent et encore moins le désir d’embrasser l’Islam. La réponse fut un formidable coup de cimeterre sur la tête et de nombreux coups de poignard.
Nicolás María Alberca Torres était né le 10 septembre 1830 à Aguilar de la Frontera (Cordoue, Espagne sud), d’une famille qui donna au Bon Dieu six prêtres ou religieux. Il entra lui aussi dans la maison pour les missions en 1856. Il mourut d’une balle au cœur.
Il y avait aussi deux Frères :
Bartolomeo Pinazo Peñalver, né le 24 août 1802 (d’où son prénom) à Chopo (Alpuente, Valencia), eut le vif ressentiment de se voir éconduit par sa fiancée pour un autre jeune homme. Or sa mère, veuve, avait épousé en secondes noces un brave homme, sage et pieux, qui sut le consoler. Il entra en 1822 comme tertiaire oblat chez les Franciscains de Cuelva, prenant le nom de Francisco. En 1835, le sectarisme antireligieux l’obligea à rester dans le siècle, mais il maintint un style de vie très religieux, se mettant au service d’une communauté de religieuses qu’on avait mystérieusement oubliées dans la tourmente. En 1843, il rejoignit la Terre Sainte, se fit agréger à la mission en Palestine, puis en Chypre, enfin à Damas. Cette nuit fatale, on l’assomma sur une terrasse et on le précipita en bas.
Le frère Juan Jacobo Fernández y Fernández était né le 25 juillet 1808, d’où son deuxième prénom (Jacques) à Moire (Carballeda, Orense, Galice). Il entra au monastère de Herbon en 1831. En 1835, les événements dont on a parlé plus haut l’en firent expulser et, après quelques années de vie fort édifiante, il obtint en 1859 de partir pour la Terre Sainte. Après avoir prié sur les Lieux Saints, il fut envoyé à Damas pour seconder le Frère Francisco. Précipité de la terrasse comme lui, mais encore vivant, il agonisa douloureusement jusqu’au matin, quand un Turc l’acheva d’un coup de cimeterre.
Outre ces huit Martyrs, sept espagnols et un autrichien, il y eut aussi trois frères, de la grande famille Masābkī, appartenant au rite maronite. On ne connaissait pas exactement l’âge.
Ces trois hommes chrétiens, s’étaient réfugiés auprès des Franciscains. C’étaient :
Fransīs (c’est-à-dire le Français), septuagénaire, marié et père de nombreux enfants, heureux marchand de soie, qu’on estimait pour sa probité. Il tenait à ce que tous les siens observassent strictement les lois de l’Eglise. Une de ses filles qui mangeait quelque chose avant le repas d’un jour de jeûne, reçut de son père une bonne gifle, lui rappelant qu’un Chrétien doit être aussi strict pour son jeûne qu’un Musulman pour le ramadan. Lui-même passait toujours par l’église avant de se rendre à son travail, et souvent fermait un peu plus tôt que prévu pour assister aux Vêpres. Sa piété et son honnêteté le rendaient très populaire et respecté dans tout le Liban.
‘Abd-al-Mu‘tī (c’est-à-dire Serviteur de celui qui donne) était un peu plus jeune que son aîné. Après avoir tenu un magasin de vente au détail, pris de scrupules, il le liquida pour devenir professeur chez les Franciscains. Même par temps de neige, rien ne l’arrêtait pour aller à l’église avec sa fille, une future Sœur de la Charité. Les gens savaient reconnaître leurs traces dans la neige. Sa joie était dans la prière, et dans l’assistance au sacristain des Pères pour orner l’église.
Rūfaīl, (Raphaël, que Dieu guérit) n’était pas marié, avait un peu aidé son aîné dans le commerce, puis s’était joint à son autre frère à la sacristie des Pères.
On signalera ici qu’il y avait un autre frère Masābkī, Abdallah (c’est-à-dire serviteur de Dieu), né en 1808, qui fut ordonné prêtre à Rome en 1830, nommé curé à Damas de 1845 à 1850, et qui mourut à Livorno (Italie) en 1882.
Les trois frères étaient en prière au pied de l’autel, au moment de l’irruption des insurgés. Parmi eux, des envoyés d’un notable musulman qui devait une très grosse somme d’argent à Fransīs. Ils lui dirent : Nous venons vous sauver, si vous vous faites musulmans. Fransīs ne pouvait céder au chantage ; il refusa, ajoutant : Abdallah {son débiteur} peut garder mon argent, mais mon âme je ne la donne à personne. Nous n’avons pas peur de ceux qui peuvent tuer le corps, mais de ceux qui tuent l’âme.
Les trois frères furent alors mis à mort.
Quelques mois après, le cardinal Lavigerie tint à remercier l’Emir Abd-el-Kader. Il voulait lui baiser la main, mais l’émir refusa.
Les onze Martyrs de Damas sauvagement assassinés le 10 juillet 1860, furent béatifiés en 1926.