Leonid Fedorov
1879-1935
Né à Saint-Petersbourg le 4 novembre 1879, Leonid Ivanovitch grandit dans la foi orthodoxe.
Orphelin de son père (Ivan), il reçut de sa mère (Lyuba) une excellente éducation chrétienne. Cette femme tenait courageusement le restaurant de son mari.
Leonid était un garçon studieux et de tempérament idéaliste ; il lisait les auteurs français, italiens, allemands. La philosophie hindoue ne l’impressionna que brièvement. Un prêtre aussi vertueux qu’excellent professeur l’aida à se pacifier et, après ses brillantes études secondaires, à entrer à l’Académie Ecclésiastique.
Dans le restaurant de Madame Fedorov, se rencontraient des intellectuels, parmi lesquels le célèbre philosophe Vladimir Soloviev, qui était partisan d’un réel retour de la Chrétienté à l’unité, de la réconciliation de la Russie avec la papauté. Leonid est conquis : la lecture des Pères de l’Eglise l’amène à la conviction de la vérité de l’Eglise universelle (d’après ses propres mots), mais la loi civile russe ne permettait pas à un orthodoxe de devenir catholique.
L’Eglise russe avait pris une telle importance dans la vie quotidienne, que s’en séparer signifiait en même temps renier la Patrie. Les Catholiques de Russie étaient d’origine étrangère, souvent polonaise, et le rite latin était considéré comme purement «romain», tandis que le rite byzantin faisait partie de l’héritage russe.
Leonid voulait avancer : il partit pour l’Italie, avec le pseudonyme de Leonidas Pierre, pour tromper la police tsariste. Il s’arrêta à Lviv (Ukraine), où il obtint du Métropolite catholique de rite oriental une recommandation pour le pape Léon XIII. A Rome, il fit sa profession de foi catholique dans l’église du Gesù, tenue par les Jésuites, il fut reçu par le Pape qui lui donna sa bénédiction, et rejoignit la maison des Jésuites à Anagni, au sud de Rome.
La vie est nouvelle pour lui ; il apprend un style de vie austère, un horaire régulier, il se heurte aussi un peu à l’exubérance italienne. Mais en retour, il leur révèle la Russie, qu’ils ne connaissent pas.
Persuadé de l’autorité de l’Eglise romaine, il reste passionné par le rite oriental qu’il ne veut pas abandonner.
En 1905, le Tsar accorde plus de libertés. Mais à Saint-Petersbourg, on refuse l’ouverture d’une chapelle catholique de rite oriental : on pouvait ouvrir des mosquées musulmanes, des pagodes bouddhistes, des temples protestants, toutes les loges maçonniques qu’on voulait et même des églises catholiques de rite latin, mais surtout pas une église catholique de rite oriental !
En 1907, le pape reconnut le rite catholique byzantin-russe. La même année, Leonid s’entend dire que, s’il ne quitte pas immédiatement la maison des Jésuites, il ne pourra jamais rentrer en Russie. Il quitte Anagni et s’installe au Collège de la Propagande à Rome.
Toujours en 1907, il participe au congrès de Velehrad (Moravie), où les participants, spécialistes en questions orientales, voulaient ouvrir la voie de la paix et de l’harmonie entre Ouest et Est, faire la lumière sur les questions controversées, corriger les idées préconçues, rapprocher les plus hostiles, et rétablir une pleine amitié.
On lui confia une mission spéciale auprès des Catholiques grecs-orientaux émigrés aux Etats-Unis, ces fidèles incompris qui passaient souvent à l’Orthodoxie. Leonid plaida pour eux au Saint-Siège et leur obtint une reconnaissance légale.
Sur une nouvelle instance du gouvernement russe, Leonid dut quitter Rome en 1908. Il alla incognito terminer ses études à Fribourg en Suisse, et retourna en 1909 à Saint-Pétersbourg, où sa chère mère était passée au Catholicisme. C’est à cette époque que le métropolitain obtint du pape la juridiction sur les Catholiques russes de rite grec, qui ne pouvaient plus rester sous l’autorité des évêques latins polonais.
C’est finalement à Constantinople que Leonid fut ordonné prêtre en 1911, par l’évêque gréco-catholique de Bulgarie.
Il participa au deuxième congrès de Velehrad. L’absence de prélats orthodoxes le peina beaucoup. Il écrivit à leur intention que ce congrès était destiné à des hommes d’études, motivés par des pensées religieuses et convaincus que toute dissension est l’œuvre du démon, qu’il faut absolument éliminer.
En 1912, il entre dans un monastère de Bosnie, puis d’Ukraine, prenant le nom de Leontiy, et participe à la célébration de l’Office divin dans le rite byzantin. Sa bonne santé l’aide à s’accommoder à l’austérité ; il s’isole dans la prière et oublie la situation politique. Il en devient même un peu rude envers ses confrères, mais il apprend à se combattre. Un confrère dit qu’il avait une grande douceur dans son langage.
1914 : la guerre commence. Leonid retourne dès que possible à Saint-Pétersbourg, devenue Petrograd. Le gouvernement lui impose l’exil à Tobolsk (Sibérie), parce qu’il a des liens avec les ennemis de la Russie (à cause de ses voyages à l’étranger). Leonid loue une chambre et trouve un petit emploi dans le gouvernement local. Il est atteint d’une violente fièvre rhumatismale. Le métropolitain est aussi exilé.
1917 : Le Tsar abdique et le gouvernement provisoire annule les dispositions précédentes : le métropolite et Leonid sont à nouveau libres ; il faut réorganiser l’Eglise. Leonid est nommé exarque du métropolite, tout en refusant la consécration épiscopale (mais le bruit courut qu’il fut consacré évêque clandestinement, et qu’on a même retrouvé une photographie de lui en habits épiscopaux).
Mais alors les Bolcheviks décident la révolution. Ce seront cinq années de terribles persécutions.
En 1918, meurt Madame Fedorov. Leonid rencontre alors un professeur d’université, Mademoiselle Danzas, récemment passée au catholicisme, qui l’aidera de toutes ses forces.
Début 1919, Leonid écrit : C’est un miracle de la bonté divine que je suis encore en vie… La population fuit de toutes parts pour éviter le froid et la faim. Il exerce son ministère à Petrograd, à Moscou, à Saratov. S’il gagne des âmes, il estime que deux mille âmes de son troupeau ont quitté la Russie, ou sont mortes. Ce qui attire à lui, c’est sa manière de célébrer, de confesser.
En 1921, outre les événements politiques, une famine fit quelque cinq millions de morts. Le Saint-Siège organisa des secours qui sauvèrent des milliers de Russes. Leonid se lia d’amitié avec le père jésuite chargé de cette œuvre, le père Walsh.
Des suppliques venant des autorités catholiques et orthodoxes furent présentées au gouvernement, les deux confessions se soutinrent d’une façon jamais vue dans l’histoire de la Russie. Le père Leonid rédigea une prière que pouvaient utiliser aussi bien les Catholiques que les Orthodoxes.
Mais la persécution s’intensifiait. L’athéisme s’enseignait dans les écoles ; les prêtres ne pouvaient plus enseigner. On confisquait tous les biens de l’Eglise, sous prétexte d’acheter des vivres. Toutes les églises catholiques furent fermées.
Début 1923, Leonid fut convoqué avec d’autres membres du clergé à Petrograd, pour comparaître devant la Haute Cour Révolutionnaire. Il fut accusé de s’opposer au décret de main-mise sur les objets précieux des églises, d’avoir des relations criminelles avec les pays étrangers, d’enseigner la religion à des mineurs et d’avoir encouragé la propagande contre-révolutionnaire. Le procès fut violent. Le procureur déclara qu’il fallait punir le père Leonid non seulement pour ce qu’il avait fait, mais pour ce qu’il pourrait faire encore, et demanda la peine de mort.
Finalement il reçut dix années de prison. Il eut cependant le loisir d’y écrire deux catéchismes en russe, de maintenir une correspondance active avec ses fidèles. Dans la prison, il y avait deux évêques et une vingtaine de prêtres orthodoxes, avec lesquels il avait d’excellentes relations.
Mais en 1923, il fut mis dans une prison plus sévère, dans un régime de complet isolement. En 1926, une généreuse Dame de la Croix-Rouge obtint sa libération, mais il fut arrêté de nouveau et envoyé pour trois années d’internement sur les iles Solovki, tout au nord de la Russie européenne.
Le monastère qui s’y trouvait depuis le 15e siècle, avait été transformé en une vaste prison, où arriva Leonid en octobre 1926. Le climat y est très humide et froid. Chaque matin, les prisonniers étaient envoyés dans les forêts comme bûcherons.
Les Catholiques eurent la permission d’utiliser une vieille chapelle, à trente minutes de la prison où, à partir de l’été 1927, ils purent célébrer la messe les dimanches, alternant les rites latin et byzantin.
Dès que Leonid avait un moment, on se réunissait spontanément autour de lui, pour entendre sa parole douce et simple. Si un prisonnier était en détresse, il accourait pour lui remonter le moral ; s’il recevait quelque chose, il le partageait avec les autres.
En novembre 1928, la chapelle fut fermée. Leonid déclara qu’il fallait à tout prix célébrer le Saint Sacrifice quotidiennement, parce que c’était probablement, disait-il, les uniques liturgies qui se célébraient en Russie par les prêtres catholiques.
A partir du printemps 1929, sa santé déclina beaucoup. Il fut admis à l’hôpital du camp. Sa peine expirait à la fin de l’été, mais il dut rester exilé. Il demeura dans le Grand Nord, à Pinega, au milieu des mineurs, où il enseignait le catéchisme aux jeunes, puis à Poltava (Ukraine). En 1934, il gagna Viatka, chez un employé de chemin de fer.
En février 1935, une violente et constante toux l’épuisa. Il rendit son âme à Dieu à cinquante-six ans, le 7 mars.
Ce martyr de l’unité de l’Eglise et de l’infaillibilité pontificale a été béatifié en 2001.